J'étais de retour en ville depuis hier soir. Avec mon frère nous n'avions pas beaucoup parlé dans l'avion qui nous ramenait de New York. L'émotion était grande, trop grande. Je n'avais pas revus mon père depuis Noël, il y a donc près de quatre mois. Pendant le voyage, je n'avais pas pu dormir, j'étais prise d'angoisse, de tristesse. Mon frère et moi nous tenions la main, incapable de regarder autre chose que l'appuie tête devant nous. A peine avais-je mis un pied dans l'entrée de la maison familiale, que l'émotion me coupa le souffle, je lâchais violemment ma valise. Mon frère me pris dans ses bras. Nous étions arrivés de nuit et je n'avais quasiment rien vu de la ville. Je regardais à peine par la fenêtre du taxi qui me menait à la maison de mon enfance. Je me dirigeais dans ma chambre d'adolescence, rien n'avait bougé, pas même le poster de Justin Timberlake au-dessus de mon lit. Je souris. Je redécouvrais cette chambre qui fut mienne, mais je que j'avais quitté dix ans plus tôt. Je n'y avais plus remis les pieds. Je m'asseyais sur la chaise face à ma coiffeuse et pris dans ma main la photo d'Ezra et moi, je regardais sur le rebord de mon miroir, le collier de ma mère qui trônait toujours. Je le mis à mon cou. Rien n'avait changé et pourtant, c'était comme si je n'avais jamais quitté la ville. Je ne dînais pas ce soir-là et m'endormis rapidement. Ce matin nous avons enterré mon père. Ce fut une cérémonie, simple, sobre, chic, en très petit comité. Les yeux embués par les larmes que je retenais, je répondais à peine aux condoléances. J'y vu, sans surprise, madame Richards, mon ancienne institutrice et amie de ma mère. La douleur dans ma poitrine semblait ne pas vouloir s'atténuer. J'avais pris avec moi deux roses blanches. En jetant la première sur le cercueil de mon père je ne pu m'empêcher de dire : Voilà, tu as retrouvé ton amour. Mon père est mort le jour ou ma mère est morte. Toute sa joie de vivre s'est envolé et même s'il n'est tombé malade que très récemment, mon père mourrait à petit feu de chagrin. L'autre rose, je la déposais sur la tombe de ma mère. Une larme roula sur ma joue. Dieu qu'elle me manquait. A la fin du cocktail d'après enterrement je posais une main sur le bras de mon frère C'était une belle cérémonie, il aurait apprécié. Il acquiesça sans un mot. Il est 21h et l'ambiance est trop pesante dans notre maison. Mon frère, voulant me protéger comme à son habitude ne me tint pas rigueur quand je lui annonçais que j'allais prendre l'air. Me voilà donc devant l'un des bars de la ville. L'ambiance, y est joviale, normal nous sommes dans le quartier universitaire. Le décor est plutôt conviviale, des orchidées trônent sur le comptoir de boire, la clientèle est jeune. Pleine de vie. Des bougies, qui sont sur les tables, rendent l'ambiance, un peu romantique. Propice aux rencontres. J'entrais dans la chaleur étouffante de l'endroit posais mon manteau sur le rebord de ma chaise et commanda un gin tonic, sans tonic. Tragique, me direz-vous de voir une femme seule boire. Et pourtant, un petit remontant était l'unique chose dont j'avais besoin. Je n'avais envie de voir personne. De ne parler à personne. Pourtant, cette ville qui me semble étrangère n'est autre que celle dans laquelle je suis née et j'ai grandi, je ne suis donc pas à l'abris de revoir une tête connue. Mais à ce moment précis, je ne regarde personne. Pas même le serveur.

Je pris une grande gorgée de tonic, le liquide à la fois chaud et rassurant coula dans ma gorge et eu un effet réconfortant. Je n'ai jamais été du genre portée sur la bouteille. Je bois à l'occasion, mais je ne suis pas une grande buveuse. Pourtant, je ne voyais pas ce que j'aurai pu faire d'autre que boire en de telles circonstances. J'avais perdu ma mère, et maintenant mon père n'était plus là non plus. Si j'étais devenu médecin, c'était parce que je n'avais pas pu sauver ma mère et j'avais l'espoir, l'ambition folle que je pourrais sauver mon père de son cancer. En vain. J'avais foiré, complètement foiré. Je n'ai pas la prétention de dire que je suis Dieu. D'ailleurs, je ne suis qu'un médecin général. Je prescrit des ordonnances pour des grippes et des rhumes. Je voulais avoir le temps de voyager, avoir le temps de profiter de la vie avec mon fiancé, pouvoir accompagner mon père à ses chimios, l'accompagner chez les meilleurs spécialistes. Et pourtant, toute cette énergie, tout ce temps perdu pour qu'au final, mon père décède. Je m'en voulais, mais je ne pouvais m'empêcher de lui en vouloir à lui aussi. Il ne m'avais jamais dit je t'aime. Et maintenant, je savais qu'il ne me le dirait jamais. Je sais bien qu'il m'aimait, mais l'entendre de sa bouche aurait peut-être changé les choses pour moi. Enfin bref, je n'allais pas continuer à me triturer les méninges, à la fin de mon verre, cela n'avait plus aucun sens. Je commandais un second verre. L'alcool, commença à faire son effet et je me sentais d'humeur joyeuse, presque joviale, comme tous les étudiants qui m'entouraient et pourtant, je restais les yeux fixé dans le vide. Soudain j'entendis une voix féminine, je levai les yeux, une jeune femme brune au yeux familiers me présenta ses condoléances. Je ne sais pas pourquoi, mais ses yeux me parlaient. Comme si j'avais déjà vu ce regard quelque part. Je n'arrivais plus à sourire, à force d'avoir fait des sourires forcés toute la journée. En guise de remerciement je hochais la tête. Elle resta là, comme si elle me connaissait depuis toujours. Vous le connaissiez ? Je la fixai à présent. Mon père, vous le connaissiez ? Je veux dire, c'est une petite ville, c'est évident que vous le connaissiez. J'arquai un sourcil et regarda le fond de mon verre, puis me décida à le finir cul sec. Après tout, tout le monde connaissait mon père bien mieux que moi. Car malgré les apparences, je souffrais de l'absence de mon père. Cependant, cela ne datait pas de la mort de mon père, mais de treize années d'absence.

Je jetais un coup d'oeil à ma montre, il n'était même pas dix-neuf heure. Je terminais mon deuxième verre. La jeune femme commença un petit discours sur la perte que je venais de vivre. Elle faisait preuve de compassion, comme tout le monde dans cette foutue ville. C'était la chose qui me manquait le moins à New-York. A New-York, j'étais noyée dans la masse. Personne ne venait me voir si j'étais triste, ou encore personne ne me demandais si ça allait. J'étais dans l'anonymat, alors qu'ici il est écrit en gras et en lettre majuscule sur mon front que je suis la fille du regretté Sam Montgomery, l'orpheline de la ville. Car, oui tout le monde sait qui je suis, que mon père est mort et que ma mère est morte treize ans plus tôt. Je n'avais rien à reprocher à cette jeune femme, mais malheureusement, ces gentillesses ne me touchèrent pas et ne me réconfortèrent. Cependant, et même si je n'avais pas envie de compagnie, je lui souriais en signe de remerciement. Après tout, je ne lui avais rien demandé, mais elle non plus. Et, elle venait dans une intention gentille, j'en était persuadé, car ici, jamais rien ne se passe et surtout, tout le monde veille sur son voisin. A une époque, j'étais comme cela, mais après dix ans à New-York, j'étais comme tout ces gens de la ville, je ne souriais qu'en de rares occasions, et je ne disais pas bonjour quand je croisais quelqu'un. Elle continua avec ses gentillesses mielleuses. Allez Birdie soit gentille, je pouvais entendre la voix de ma mère. Elle était une vraie sud africaine, toujours le sourire aux lèvres, à aider la voisine à porter ses courses, à céder sa place si besoin. Je décida donc d'activer mon mode sociable et invita la jeune femme à s'asseoir à ma table. Je m'appelle Birdie. Vous voulez boire quelque chose ? C'est ma tournée. Ces yeux m'intriguaient, il ressemblait étrangement aux miens. Mais bon, pas de quoi voir là un signe, nous étions toutes les deux sud-africaine, et chaque pays à sa spécificité. Vous habitez ici depuis longtemps ? Je me détendais un peu et, me sentais même d'humeur à faire un brin de conversation avec une parfaite inconnue. Je la regardais un moment. Elle n'avait pas l'air bien méchante et une amie ne me ferait pas de mal. Après tout, je n'arrêtais pas de me plaindre que je ne connaissais plus personne ici. C'était l'occasion de me faire de nouvelles connaissances. Connaissances, oui, car il n'est pas envisageable une minute que je reste ici plus d'un mois. Trois jours ici, et j'en ai déjà marre. Allez Birdie, un mois, ça passe vite.

La jeune femme m'apprit, qu'elle était née ici, j'arquai un sourcil. Surprise, de ne pas la connaitre. Nous ne devions pas avoir beaucoup d'écart et tout le monde se connaissait ici. Enfin, je ne prêta pas attention à ce détail, j'étais partie depuis beaucoup trop longtemps pour avoir la prétention de prétendre connaitre toutes les personnes vivant dans cette ville. C'était l'une des raisons d'ailleurs qui me donnait envie de retourner à New York au plus vite, je n'en pouvais déjà plus des ragots, des regards en coin et des coudes qui se poussent à mon passage. Le retour de Jonah et moi sonnaient comme le retour des enfants prodiges de la ville. Elle me retourna la question. Et bien, je suis née ici aussi. Et puis je suis partie pour mes études à l'âge de dix-huit ans, il y a dix ans, à New York. Depuis, je vis là-bas et je suis de retour depuis trois jours … Je laissais ma phrase en suspens quelques secondes, incapable de continuer, je pris une longue gorgée pour me donner du courage. Pour l'enterrement de mon père, comme vous le savez. Je commençais à avoir les yeux un peu embrumé par l'alcool et je béni le serveur qui amenait des gâteaux apéritifs. Je lui adressais un sourire presque imperceptible et pris quelques cacahuètes. Elle reçu également son verre. A la vôtre. Je souris et termina mon verre. Je devais passer pour une alcoolique j'en étais déjà à mon deuxième verre. Mais je tenais plutôt bien l'alcool. Je me promis un dernier verre et je rentrerais. Vous faites quoi dans la vie ? Je continuais de grignoter quelques gâteaux pour éponger l'alcool que j'étais ingéré. Et, me rendis compte que je n'avais pas mangé de la journée. Je commandais donc quelques tapas, une fois à notre table j'en pris un et proposa à la jeune femme de le partager avec moi. Au faites, quel âge avez-vous ? J'avais soudain un intérêt pour la jeune femme. Elle paraissait jeune, mais pas tant que cela. Il fallait que j'arrête de m'enfermer. J'étais là, je n'avais pas le choix et ce n'était pas bon de rester enfermer à deux avec Jonah. J'étais là pour un mois. Le temps de régler la succession et c'était aussi l'occasion de me réconcilier avec ma ville natale, et l'Afrique du Sud en général.

Les yeux un peu dans le vague, des souvenirs remontaient à la surface. Moi, au lycée, avec Jonah et Ezra. Je me sentais forte, même si ma mère me manquait terriblement. Je savais qu'à nous trois on pouvait faire front et qu'on était plus fort que les autres. Toutes ces désillusions pesaient sur mes frêles épaules. J'avais perdu ma mère, beaucoup trop tôt. Alors que je vivais un conte de fée. Pourtant, je n'en était pas consciente. Mes parents formaient un couple stable et heureux. Et je sais aujourd'hui que cela était rare et précieux. Puis, ma mère a été emporté par la maladie. J'ai remonté la pente grâce à Ezra. Et puis, je suis partie. Et je l'ai perdu. Grâce à Eliott, j'ai repris ma vie en main. J'ai une brillante carrière de médecin. Beaucoup d'amis, un frère formidable. Et aujourd'hui, je me sens vide. Mon père est mort. Je me le répète sans cesse, mais c'est comme si cela sonnait faux. Je souris pour masquer mes émotions. Comme Sam Montgomery, mon père me l'a enseigné. Je réponds par de simple hochement de tête aux questions, pour ne pas montrer les sanglots dans ma voix. Et pourtant, j'ai l'impression d'être une gamine. Et Dieu sait, que j'aimerai revenir à la belle époque de mon enfance. Ou tout était simple. J'ai eu la vie facile, peut-être même trop. Est-ce que revenir ici est difficile ? Oui, car je me rend compte que je n'ai pas su profiter de ma chance. Mais comment l'avouer à haute voix ? Après tout, c'est peut-être une inconnue qu'il me faut. Ariel est peut-être ma chance de me libérer de mon fardeau. Tu sais. Je la regardais fixement. On peut se tutoyer ? Tu sais, je suis le genre de fille à qui tout souris, tout réussis. Je prenais une profonde respiration pour me donner du courage. Mais tu sais, les gens comme ça n'existe pas dans la vraie vie. Il y a toujours ce moment, le moment ou tout te pète à la figure. Et bien, en ce moment c'est ce qui m'arrive. Pas parce que mon père est mort. C'est juste un constat. Je suis juste incapable de profiter de l'instant présent. Incapable de me contenter de se que j'ai et surtout, je suis incapable de regarder autour de moi. Le passé appartient au passé. Et à cause de mon égo surdimensionné je ne vois pas ce qui m'entoure. Je marquai une pause. Tu dois me prendre pour une folle. Je restais un moment silencieuse. J'ai vingt-huit ans. Oui, j'ai vingt-huit ans. Tout pour être heureuse, un fiancé amoureux, tendre et sincère et je rêve d'un autre homme. Un homme qui appartient au passé et qui a fait sa vie, sans moi. Ce qui est normal compte tenu du fait que je l'ai tout simplement abandonné pour faire ma vie. Gendarme des animaux ? Comment vous est venu cette passion ? Je souris. Je n'avais jamais rencontré de personne faisant ce métier. J'avais décidé de renouer avec mon passé, et j'avais oublié qu'ici, les gens étaient bien plus intéressant qu'à New-York.